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Du réconfort vain de la polémique Twitter

  • Photo du rédacteur: Thizbel
    Thizbel
  • 6 juin 2019
  • 6 min de lecture

Dernière mise à jour : 7 juin 2019

J’ai toujours accueilli avec un certain étonnement les affirmations qui voulaient que je sois « de la génération d’internet ». Il m’apparait évident que je suis plutôt de la génération de la transition, une transition qui s’est faite d’autant plus lentement pour moi que j’ai grandi dans des bleds paumés de la Moselle. Ma génération est celle qui découvrait tout ça – un peu comme celles au-dessus finalement, avec peut-être juste un peu plus de facultés d’adaptation. Alors j’avoue ne pas bien comprendre en quoi la période de l’unique ordinateur familial, du 56 k et des abonnements offrant à peine quelques heures d’internet par mois est censée faire de moi une créature connectée dès la naissance.


J’ai été une enfant qui lisait sans arrêt, qui passait ses pauses déjeuner à la bibliothèque de son collège plutôt qu’avec ses camarades, qui trimballait des bouquins partout. Une enfant qui écrivait beaucoup, aussi ; plus encore quand elle est devenue adolescente. Ma jeunesse n’a rien d’ultra-connectée. Elle est peuplée de Daniel Pennac, de romans d’aventures historiques ou magiques, des récits champêtres de Georges Sand, de la collection complète des BD de Franquin, d’un certain dédain pour Candide mais d’un vrai amour pour Jean-Baptiste Grenouille, d’émerveillement devant d’énormes recueils de contes, de pamoison devant Boris Vian. Elle est faite d’enseignants qui me glissaient au détour d’un couloir que j’avais illuminé leur journée de corrections avec cette rédac’ qui sortait tellement du lot, qui commentaient mes copies en notant que ça aurait pu être écrit par Laclos, qui me confiaient, en tant qu’ancien prof, que le nouveau répétait sans arrêt à quel point j’étais « une vraie littéraire ». J’ai lu tout ce qui me passait sous la main, et écris des pages et des pages au gré des réflexions que m’inspiraient ces livres, ma famille, ou la vie qui faisait autour de moi des bruits que j’essayais ainsi de décoder à l’aide de mon bic.

De fait, Internet est entré dans ma vie par la littérature. Je l’ai découvert vers 14 ans, âge auquel le modem a été installé dans l’appartement où ma mère et moi vivions. Au commencement, il n’avait pour moi qu’une seule et unique utilité, celle de fréquenter des forums de lecture. Une bénédiction : moi, le rat de bibliothèque qui n’avait presque pas d’amis dans cet affreux collège, je découvrais une communauté entière de gens qui discutaient et blaguaient avec moi, et surtout dont les centres d’intérêt étaient les mêmes que les miens, me permettant alors d’échanger enfin avec des individus bienveillants qui me ressemblaient. Un peu plus tard est arrivée la mode des blogues, qui permettaient d’écrire sur soi et d’aller épier ce que les autres écrivaient sur eux. Je me suis soumise à l’exercice d’une version du questionnaire de Proust, avec les questions sans intérêt et l’orthographe douteuse en plus, avant de revenir à mes habitudes en tapant de longs textes sur mes amours, mes espoirs et surtout mes névroses. Il y avait un côté exhibitionniste certain, mais ça faisait du bien à ma dépression, et je trouvais mes textes jolis : il me semblait que ça prévalait sur la pudeur, un peu comme une belle photo de nu. Et à côté toujours, des carnets, des lettres et des feuilles volantes copieusement noircies (ou peut-être colorées quand ça a été la mode des stylos de toutes les couleurs ? Encore que je crois me souvenir avoir toujours été attachée au noir ou bleu).

Je ne sais pas comment j’ai perdu le contrôle, ni quand. Seulement qu’un jour, j’ai réalisé qu’internet m’avait bouffée. Il me prenait mon temps, s’insinuait dans mes moments libres, sapait tous mes projets. Il était devenu omniprésent : abonnements illimités, élargissement de la gamme des réseaux sociaux, smartphones aux applis hypnotisantes dont les notifications harcelaient mon paysage sonore et flattaient sournoisement mon ego réduit à pas grand-chose. J’en avais désormais un usage à l’inverse des débuts : au lieu de m’offrir des ponts et des opportunités de créer ou d’apprendre, il m’isolait et me rendait paresseuse.


Je ne lis plus. Je n’écris plus.


Enfin, bien sûr, je lis et j’écris : après tout je fais une thèse. Je veux dire que je ne lis et n’écris plus comme avant, pour moi-même, avec passion, avec besoin même ; que j’ai perdu le refuge de ma créativité. Mes écrits sont de plus en plus rares, de plus en plus courts. Je peine à terminer, si ce n’est à commencer, un nouveau livre, quand bien même j’ai dépensé son prix dans la librairie où il m’a donné envie : ne me reste réellement de mon amour des livres que la thésaurisation. Mes carnets ont de plus en plus de pages restées blanches. J’ai dans mon ordinateur des tas de projets inachevés, là depuis au moins deux ans : une moitié de roman, deux nouvelles au stade embryonnaire, une idée d’album de jeunesse et des billets d’humeurs pour un blogue politique que j’ai créé sans jamais l’alimenter.

Qu’est-ce que je fais à la place ? Rien. Du vide, rien que du vide (la plupart du temps). Je me vautre dans une perte de mon précieux temps parce qu’elle est confortable, parce qu’arriver enfin à avancer sur cette thèse me donne l’excuse trop facile qu’au moins je gère mes priorités et que j’ai bien le droit d’être fatiguée. Ce sont les excuses actuelles. Je ne me rappelle plus les anciennes. Mais il y en a toujours eues. Il est tellement plus facile de faire défiler d’un pouce une masse d’information dont je ne fais aucun tri que de soigner son style, repousser ses limites pour finir une histoire ou se concentrer sur Le Bruit et la fureur. Il est tellement plus facile de se gargariser l’ego pour peu de frais en s’énervant sur le dernier tweet homophobe de Christine Boutin et en réduisant l’effort rédactionnel à 280 caractères afin de pouvoir se vanter d’avoir participé à une polémique stérile. Mes peurs trouvent un confort indéniable dans cet engloutissement pantagruélique de médias en ligne. Je manque de volonté et de courage.

Ma thèse arrive peut-être dans ces réflexions comme une manne providentielle, à me faire écrire et lire sur la consommation et les médias mis face à la « puissance d’exister » spinozienne et à l’idéal consistant à renouveler le désir, un désir réel de créer, d’exister par ce biais ; mais aussi à réfléchir – réfléchir vraiment.

Hier, j’ai passé toute la journée pour la première fois depuis longtemps avec une amie à qui je pourrais très certainement donner plus de temps si j’en accordais moins à internet. En est ressorti une conversation qui m’a fait constater que les pleurnicheries ci-dessus n’ont rien de bien original et qu’elle ressentait exactement la même chose – fait d’importance ou non, nous avons le même âge. On a émis, un peu pour rire, sûrement beaucoup sérieusement, l’idée de faire un pacte, une espèce de groupe d’entraide pour se sortir de tout ça en se motivant, en se donnant des objectifs, en se conseillant des lectures, des musiques, des films. Après les alcooliques anonymes, les WWWooliques qui se connaissent bien. Il y a quelques mois, j’avais proposé à cette amie de mettre en place les jeudi ciné, déjà impatiente de lui faire découvrir Comme un Torrent quand ce serait à mon tour de choisir le film. On ne l’a jamais fait. Mais cette fois c’est écrit. J’aime bien l’écrit. Il y a quelque chose de performatif que n’a pas une vague idée lancée par une bouche.

Alors je le rédige comme une promesse, d’autant plus difficile à briser qu’elle a des témoins : ça suffit. Je ferais tout pour remettre internet là où il était quand il me faisait encore du bien : à une place où il était un moyen de communication, une ressource intéressante riche en réflexions nouvelles et en élargissement d’idées, une manière de dire qu’on a aimé ceci, de donner des nouvelles à ceux-là, de faire de la pub à quelqu’un dont on apprécie le travail. Je ne jouerai ni les réac’ ni les hypocrites : internet est un endroit plein de trésors et m’a permis plusieurs rencontres et découvertes. À une époque de ma vie, il m’a même peut-être bien un peu sauvée. Mais suivre des débats stupides de clics en clics, aller vérifier les propos d’Eugénie Bastié pour la 71èmefois afin de se confirmer qu’elle est toujours aussi répugnante, passer plus d’une heure à restaurer un temple perdu dans un jeu, regarder des vidéos de chats sur Instagram, et parfois même, dans les moments les plus honteux, aller voir ce que sont devenues ces stars 20 ans après – je ne vais pas en revenir ! –, oui vraiment ça suffit.

Plus encore que ce que j’en fais, c’est le temps que j’y passe que je veux réformer. Aller réparer 15 minutes mon temple perdu, qu’après tout j’aime bien, entre deux cessions de trois heures de travail le temps d’une clope et d’un double café n’est pas vraiment un problème. C’est à peu près pareil pour le reste (sauf peut-être pour les photos de célébrités devenues toxico ou botoxées). Le vrai problème est que depuis de trop nombreuses années tout ça est présent tout le temps, prenant une place diffuse qu’au fond je veux donner à d’autres choses et constituant une fuite dans la facilité et le prétexte. Est probablement venu le moment de chasser la connexion internet des moments sentimentaux, familiaux ; des moments artistiques aussi, que j’ai eus et chéris si longtemps – et que je compte bien retrouver. Et d’activer le mode avion.

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