Le Bruit et la fureur - William Faulkner [Littérature]
- Thizbel
- 28 juin 2019
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 29 juin 2019
Mes jérémiades dans un billet précédent l'annonçaient : je me remets à un peu plus de lecture. J'en ai en réalité commencé plusieurs en même temps, de genres très différents - j'en parlerai bientôt. Le premier achevé, le voici. Et autant annoncer immédiatement la couleur : il rejoint le mont Olympe de mes livres chéris.
Lorsque l'on commence Le Bruit et la fureur, mieux vaut ne pas être installé·e sur un transat au bord de la piscine du Club Med avec l'idée qu'on va se détendre avec du prêt-à-consommer (mais si vous avez au moins une vague idée de qui est l'auteur, vous vous en serez de toute façon douté·e). Soyons franc·he·s, au début j'ai dû m'accrocher. On ne comprend pas grand chose, les quelques indices donnés semblent parfois contradictoires, et des noms sont sans arrêt donnés au fil de pensées qui, évidemment, ne cherchent pas à s'expliquer à elles-mêmes qui peuvent bien être Ruster, T.P. ou Quentin. Et pourtant, le livre ne me tombait pas des mains : c'était compliqué, mais ce n'était pas rasoir, loin de là - sans que je me l'explique bien au début. Mais trève de contage d'expérience personnelle.
La narration, exigeante, se construit en quatre parties, quatre voix différentes, réparties sur deux temporalités - bien qu'en réalité, les souvenirs divers se mêlent à la trame principale au détour d'un son, d'une vision, d'une pensée égarée de son narrateur, et ce sans logique particulière ni même respect de la ponctuation et de la structure syntaxique. La première est particulièrement chaotique car le roman s'ouvre sur la voix de Benjy, "l'idiot" de la fratrie Compson, dont les manques en termes d'intellect au sens habituel du mot sont compensées par une sensorialité exacerbée, ce qui implique une manière de rendre compte de son intériorité très particulière, désordonnée, facilement distraite. Je ne donnerai pas les narrateurs des trois autres parties ; comme dirait River Song : spoilers ! Le traducteur de l'édition dont je dispose, et qui a préfacé le roman, compare la construction du récit à une symphonie classique. N'étant pas qualifiée pour filer la métaphore, c'est plutôt l'image du puzzle (oui, bon...) qui m'est venue naturellement. Mais plutôt du genre "paysage enneigé" 2000 pièces que le Pat Patrouille que vous faites avec votre nièce. La première partie, on ouvre la boîte, on sort les pièces avec perplexité, on reste dubitatif·ve devant un mélange désordonné et peu lisible dont on peine à croire qu'il formera un tout cohérent. Même si, en réalité, on se familiarise déjà un peu avec les morceaux.
La deuxième, on forme les bords. Le rendu final n'est pas très clair encore, mais ça se met en place, les contours se forment, on a de plus en plus d'intuitions.
La troisième positionne les pièces restantes, confirme nos soupçons, termine le tableau, nous laisse comprendre les éléments restants.
La dernière, enfin, c'est la main qui lisse l'ouvrage, et l'oeil qui se recule pour contempler l'ensemble avec une vision plus large et englobante.
Vous l'aurez compris, ce roman brille par sa construction et l'extrême habileté à faire arriver à bon port une histoire qui commence, disons-le, comme un parfait foutoir, et ce par le biais d'une narration interne qui se veut vraiment de l'ordre d'une intériorité fidèlement reflétée avec tous les coqs à l'âne que cela implique, et pas simplement d'une narration en je. Ou pour le dire plus succinctement : pas de construction linéaire ici, c'est un fourbi royalement remis en place par étapes. Mais n'allez pas croire que seul le style vaut le détour (même s'il suffirait amplement) : en plus du bonus d'un portrait des Etats-Unis du Sud dans le début du siècle dernier (un point assez essentiel pour moi car le Roman contribue grandement à compléter mon panorama de l'Histoire), ce récit vous prend rapidement aux tripes dès lors que vous avez compris quelques éléments, et la profondeur psychologique et singulière à chaque personnage n'y est pas pour rien. L'histoire d'une famille "maudite", et elles valent toutes d'être lues - après tout, toutes les familles heureuses le sont de la même manière, mais les familles malheureuses le sont chacune à leur façon.
Un dernier mot : Surtout, ne lisez pas la préface avant le roman. Je l'ai lu en dernier et je m'en suis bénie : le traducteur explique en quelques pages tout ce qu'il y a à comprendre petit à petit au fil du livre - quelle idée ! L'expérience en serait gâchée (oui, je persiste à trouver qu'une première lecture a besoin du suspens en plus de l'affection pour le style, d'autant qu'ici, réunir les éléments diégétiques font précisément partie du style, si vous voulez mon avis (question rhétorique puisque vous êtes à la fin d'un billet sur mon blog)).
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