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Mes heures sombres à moi

  • Photo du rédacteur: Thizbel
    Thizbel
  • 5 déc. 2019
  • 4 min de lecture

Que dire. Mes heures sombres m'ont souvent parues illégitimes. Elles sont celles d'une petite fille et d'une adolescente qui était une privilégiée : pas de problèmes d'argent, de racisme ou de lesbophobie, pas de parent incestueux ou violent. Juste une gamine dépressive sans bien en connaître la raison profonde si ce n'est qu'elle sent bien, là, qu'elle a la trouille que personne ne l'aime vraiment et aussi qu'une culpabilité à la source mystérieuse lui tord le ventre - y compris au sens propre - depuis ses 8 ans. 8 ans. C'est drôle, mais j'ai toujours fixé précisément le début de tout à cet âge là. Alors même que j'ai déjà pensé à de possibles causes bien antérieures qui pourraient expliquer ce que j'étais - ce que je suis aussi, puisque la noirceur est contenue, pas disparue. Mes heures sombres à moi, ma douce Marie, n'ont eu de cellule que ma propre tête.


Il y a un peu plus d'un an, je commençais les antidépresseurs. On m'avait prévenue qu'avant que leurs effets escomptés ne se mettent en place je risquais une courte période de mal-être ; un effet secondaire pas systématique mais néanmoins courant. J'y ai eu droit, évidemment. Tout particulièrement lors d'une journée entière alors que c'était le week-end et que les filles étaient là : je n'ai eu de courage que pour les coller du matin jusqu'au soir devant la télé et ai passé de longues heures dans la chaleur glaçante de mon lit. Je me suis rappelé, alors, ces journées interminables et je me demande comment j'ai pu seulement y survivre. Je me suis rappelé que dans mon passé elles étaient toutes comme ça. L'école, pas franchement sécurisante, venait tout de même faire diversion, mais les vacances scolaires étaient bien souvent un enfer qui consistait à me sentir vide et capable de rien, à repousser le moment de dormir dans l'objectif très clairement formulé dans mon esprit que la journée du lendemain soit déjà le plus avancée possible à mon réveil, niant que cette stratégie ne raccourcissait pas les jours mais les décalait seulement. J'ai souffert chaque putain de jour pendant des années. Ce n'est pas que je n'aimais pas la vie, c'est plutôt que je n'aimais pas la mienne. Je n'aimais pas ce que j'étais, parce que ce que j'étais semblait n'être jamais adéquat. Un carré dans un monde de ronds, m'a-t-on dit avec assez peu de bienveillance à l'époque. "Spéciale", si souvent que j'ai pris ce mot en horreur quand il sert de qualificatif pour un être humain. "Une extra-terrestre". C'était vrai. Le bruit que je faisais en vivant agaçait beaucoup les êtres autour de moi, d'autant moins patients qu'ils étaient jeunes. Mais je tenais bon, je tenais bon, je surjouais la joie de vivre, je me distrayais, je serrais les dents, je cherchais des compensations : les livres, les forums internet plein de gens qui me ressemblaient un peu plus, l'écriture. Et puis un jour ça a été trop, vraiment trop dur. Alors je suis partie. Je ne voyais plus que ça. J'ai préparé mon départ, vérifié que personne ne regardait, n'était présent pour entendre la porte grincer. J'ai pris ces 13 petites pilules, 13 pile, sûrement par mysticisme. Mais il y avait Elle, et Elle était la seule dont je sois sûre qu'elle m'aimait, alors j'ai eu un sursaut de culpabilité, et me suis dit que je devrais quand même lui dire au revoir. Dernier geste conscient. J'étais déjà montée dans le train. Je n'ai pas même eu le temps de voir sa réponse. La suite est une série de flashs de plus en plus longs. Un mec dont je ne me souviens pas du visage, alors que je suis couchée dans un truc qui bouge, et qui me dit fort de ne pas me rendormir, mais je referme les yeux quand même. Le goût affreux qui est resté pendant des jours dans ma bouche. Mes yeux qui s'ouvre sur Elle, Elle qui a lancé l'alerte et retourné la ville, Elle qui est seule responsable au fait que je respire encore, assise sur un fauteuil à côté de moi. La fatigue de ma mère. Mes premiers pas chancelants dans le couloir de l’hôpital. La dispute avec cette psy idiote, aggravée par la totale désinhibition que provoque en moi la part de drogue dont mon corps ne s'est pas encore purgé. Les messages vocaux sur mon répondeur que j'écoute avec 3 jours de retard en sortant du coma. Les marques sur mes bras qui ont mis plus d'un an à tout à fait disparaître. Je mentirais en t'assurant que la suite a été simple. Je n'ai pas été mieux traitée à l'école pour autant. Je n'ai pas évité les salauds. Je n'ai pas soudainement compris les codes qui m'avaient toujours échappés. J'ai fini par devoir (mal) supporter qu'Elle m'abandonne - j'étais trop compliquée à gérer. Il a fallu des années de plus pour que ce ratio joie/peine semble s'inverser, pour que je ne me fasse plus l'impression d'être résignée à l'idée que je serai triste sans arrêt à l'exception de quelques moments d'éclat, de bonheur brut. "Je ne suis peut-être pas de ceux qui vivent dans la félicité, mais les morceaux de bonheur que j’ai croqués avaient un goût plus fort et plus racé que sous la langue de tous les gens heureux" : j'écrivais ça encore 3 ans plus tard. Et il y a eu des rechutes terribles. Parfois encore je me noie presque. Mais je n'ai plus jamais eu le désir de partir. La cellule était encore là, mais quand bien même je souffrais mes 23 heures sombres, je tenais désormais à cette seule heure sur 24 de lumière.

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